Cela doit faire drôle pour un ingénieur de la promotion 2007 de l’INSA de Rennes de penser que celui que l’on a côtoyé pendant 5 ans – si on l’a connu dès son arrivée dans la Filière Internationale – ou pendant 3 ans – si on l’a connu lorsqu’il était dans le département INFO – est en prison.
Cela doit faire drôle pour un étudiant qui est aujourd’hui à l’INSA et qui prend le temps d’y penser un peu de se dire que quelqu’un d’à peine plus vieux que lui et qui a suivi les mêmes cours, a eu les mêmes enseignants, a logé dans les mêmes résidences, loge aujourd’hui en prison.
Et je peux dire que cela fait tout drôle quand on est enseignant d’imaginer que l’étudiant que l’on a eu en cours, avec lequel on a eu quelques discussions et sûrement une attention particulière parce qu’il est étranger, qu’il vient d’une autre culture est aujourd’hui en prison, à l’autre bout du monde, dans son propre pays, et sous le coup d’accusations graves .
Et pourquoi est-il en prison depuis 4 mois ? Pour s’être exprimé librement. Pour avoir critiqué l’enseignement universitaire du Vietnam . Pour avoir appelé, comme de nombreux autres intellectuels de son pays, à plus de libertés, à plus de démocratie.
Pour avoir finalement exercé le droit à une parole libre, ce qu’il a pu apprendre ici en France et dans le cadre de sa formation. Car c’est bien ce que nous apprenons aussi aux futurs ingénieurs : à être des citoyens responsables, maîtrisant les ressources de la communication orale et écrite et assumant la liberté de s’exprimer.
L’Histoire ne se répète pas ; mais parfois elle bafouille. Même si le contexte est tout autre, je ne peux m’empêcher de songer à tous les jeunes africains, à tous les jeunes « indochinois » et « annamites » , à tous les jeunes indiens (de Pondichéry et autres comptoirs) méritants à qui la France, généreuse et magnanime, permettait, avec des bourses, de venir étudier. Avec l’espoir évidemment que cet « investissement » serait payé de retour : on formait ainsi de bons fonctionnaires coloniaux indigènes (que l’on payait moins, bien sûr, que les fonctionnaires coloniaux français !). Mais que croyez-vous qu’il advint ? Certains de ces « indigènes » se rendaient compte qu’au pays des Droits de l’Homme et de la Liberté, certains étaient « plus égaux que d’autres » et que ces grandes idées ne s’appliquaient pas aux terres colonisées. Parmi ceux-ci, il y eût pas mal de ceux qui devinrent les artisans dans leurs pays de la décolonisation.
Parmi ceux-ci, il y avait un certain Ho Chi Minh, le père du parti Communiste Vietnamien et de la République Démocratique du Vietnam. De 1914 à 1919, il était à Londres, puis de 1919 à 1923, à Paris. Il ne bénéficia pas de bourse mais il était parti, selon ses propres paroles avec un projet : « aller étudier à l’étranger et revenir aider le pays ».
Trung n’a pas eu d’autre ambition. Une fois son diplôme en poche, et malgré son activité politique et les risques qu’il prenait en revenant dans son pays, il est quand même rentré. Car animé par le désir profond d’aider son pays, à la fois de ses compétences d’ingénieur et de ses convictions d’homme libre, il a souhaité pouvoir œuvrer sur place. On peut juger que c’est un peu inconscient car il ne fallait pas être devin pour savoir qu’il serait mis en prison à la première occasion. On peut plutôt comprendre que c’est à la fois très courageux et très réfléchi. Trung était parti pour étudier à l’étranger et revenir aider son pays. En chemin, il a découvert que l’on pouvait vivre plus librement que sous le régime communiste. Mais cette découverte n’a pas changé la nature de son projet ; au contraire, elle l’a enrichi et l’a renforcé.
Trung est maintenant un dissident politique emprisonné. Il n’est pas le seul au Vietnam.
Trung est maintenant un dissident politique emprisonné. C’est drôle comment ces mots résonnent curieusement en cette période de célébration de la chute du Mur de Berlin et d’effondrement du bloc communiste européen ; ça semble anachronique.
C’est drôle aussi de penser qu’au Vietnam – un pays de visages souriants et de décors magnifiques (ah ! la baie d’Along ! Ah ! le delta du Mékong), un pays de tourisme florissant – il y ait aussi cette réalité-là : c’est-à-dire un pays qui, nous le rappelle REPORTERS SANS FRONTIERES , occupe la 166ème place sur 175 au classement mondial de la liberté de la presse en 2009.
Mais ce n’est pas une plaisanterie : Trung est bien en prison. Dans des conditions dures. Aucune visite. Ni sa famille. Ni son avocat. Et l’on craint qu’au moment du procès le jugement soit très sévère. Pour faire un exemple. Pour faire passer à tous les jeunes vietnamiens qui sont venus étudier à l’étranger le goût de la liberté. Pour faire oublier l’Histoire. Pour faire oublier Trung.
Le pire qui puisse arriver à Trung, c’est qu’on l’oublie petit à petit. Que les étudiants de l’INSA, que les enseignants et personnels de l’INSA petit à petit l’oublient. Que les responsables politiques n’agissent plus en sa faveur.
Faites en sorte de ne pas oublier Trung. Consultez régulièrement le site de son Comité de soutien. Participez aux actions proposées. Proposez vous mêmes des idées. En exprimant cette liberté d’expression qui manque aujourd’hui à Trung.
Philippe Echard
Professeur de Culture & Communication à l’INSA de Rennes
Président du
Comité pour la libération de Nguyễn Tiến Trung