Le tout premier véritable dialogue sur les droits de l’Homme de l’Union Européenne avec le Viet Nam doit s’accompagner de la libération de tous les défenseurs des droits de l’Homme actuellement emprisonnés, en détention ou assignés à résidence, indiquent le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme (CVDDH) et l’Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT).
Le 12 janvier 2012, l’Union Européenne (UE) tiendra son tout premier véritable dialogue annuel sur les droits de l’Homme avec le Viet Nam à Hanoi. L’institutionnalisation d’un dialogue de haut niveau sur les droits de l’Homme fait suite à la conclusion d’un Accord de partenariat et de coopération (APC) entre l’UE et le Viet Nam, dont la signature est prévue à la mi-2012. Le dialogue a lieu alors que la répression contre la dissidence et l’emprisonnement des défenseurs des droits de l’Homme sont continus depuis 2009, les dernières condamnations ayant eu lieu il y a moins de deux semaines.
« La liberté des défenseurs des droits de l’Homme de travailler sans craindre des représailles devrait figurer en bonne place dans l’agenda de ce premier dialogue, et l’UE devrait prendre toutes les mesures nécessaires, avec une volonté politique suffisante, pour faire pression sur le gouvernement vietnamien pour qu’il les protège plutôt que de les envoyer en prison », a dit Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.
Le 29 décembre 2011, un tribunal de la province de Nghe An, au centre du Viet Nam, a condamné Mme Ho Thi Bich Khuong et le Pasteur Nguyen Trung Ton, deux défenseurs oeuvrant pour les droits sur la terre et la justice sociale, à respectivement cinq et deux ans d’emprisonnement pour avoir eu des « activités sapant l’Etat » et fait « circuler de la propagande contre la République Socialiste du Viet Nam » (article 88 du Code pénal), après que la police eut saisi chez Mme Bich Khuong 78 articles en faveur des droits de l’Homme. Mme Bich Khuong et le Pasteur Ton ont, outre leur peine d’emprisonnement, été condamnés à respectivement trois et deux ans d’assignation à résidence. La presse officielle vietnamienne a également accusé Mme Bich Khuong et le Pasteur Ton d’avoir « collecté des documents et écrit des articles qui entachent la réputation du Parti communiste et du régime socialiste ». Mme Bich Khuong était aussi accusée d’avoir donné des interviews à des médias à l’étranger et rejoint des mouvements pro-démocratie dont le but est de « s’opposer à l’Etat ». Ils sont tous deux détenus dans la province de Nghe An. Mme Bich Khuong a annoncé son intention de faire appel.
Mme Bich Khuong et le Pasteur Ton figurent parmi des dizaines de défenseurs des droits de l’Homme, écrivains et militants harcelés, arrêtés, détenus ou condamnés à des peines de prison ces deux dernières années pour leurs activités en faveurs des droits (Voir la liste non-exhaustive, compilée par le CVDDH, des cas particulièrement préoccupants de défenseurs des droits de l’Homme et activistes en détention ou en résidence surveillée au Viet Nam).
Les porte-parole et diplomates du gouvernement vietnamien déclarent régulièrement que le Viet Nam respecte les droits de l’Homme dans ses lois et en pratique. Au mois de février 2011, le Viet Nam a annoncé son intention de postuler pour un siège au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en 2013-2016, et est soutenu en cela par les Etats membres de l’ASEAN.
« Le Vietnam croit apparemment qu’il peut produire des engagements sur les droits de l’Homme pour l’exportation et violer ces mêmes droits à l’intérieur du pays », constate Vo Van Ai, président du CVDDH. « Il est grand temps que l’UE exige des réponses du Vietnam quant à cet écart et donne la priorité aux droits de l’Homme dans ses relations bilatérales avec le Vietnam afin de mettre un terme aux assauts actuels contre les libertés fondamentales sur le terrain ». M. Ai demande en particulier à l’UE de faire pression pour la libération de Thich Quang Do, qui est en résidence surveillée de fait sans charge ni procès du fait de son engagement en faveur des droits de l’Homme.
« La liberté de celles et ceux qui défendent les droits des autres est la pré-condition évidente pour un véritable dialogue digne de ce nom. Des progrès véritables et mesurables dans ce domaine doivent être le critère du succès d’un tel dialogue », a dit Gerald Staberock, secrétaire général de l’OMCT.
— Liste non-exhaustive des cas particulièrement préoccupants de défenseurs des droits de l’Homme et d’activistes en détention ou en résidence surveillée au Viet Nam —
Le Patriarche suprême de l’Eglise Bouddhique Unifiée du Vietnam (EBUV) Thich Quang Do, en résidence surveillée sans procès dans le monastère Zen Thanh Minh à Ho Chi Minh Ville. Il est privé de son droit de voyager, ses communications sont censurées et toutes les visites sont contrôlées. Il est privé de ses droits civiques, privé par exemple de son permis de résidence obligatoire (ho khau) sans lequel le citoyen est en situation d’illégalité. Thich Quang Do a passé plus de 29 ans en prison, en résidence surveillée ou en exil intérieur pour ses appels pacifiques en faveur de la liberté religieuse, des droits de l’Homme et de la démocratie. Il a été reconnu victime de détention arbitraire par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (Avis 18/2005).
Bien que le blogueur Nguyen Van Hai (alias Dieu Cay), fondateur du Club des Journalistes Libres, aurait dû être libéré au terme de sa peine en octobre 2010, il reste détenu à ce jour, de nouvelles accusations pour « propagande contre l’Etat » ayant été portées à son encontre le 20 octobre 2010. Il avait été condamné à deux ans et demi de prison sous le prétexte fallacieux d’« évasion fiscale » en septembre 2008. Sa famille n’a pas été autorisée à le voir depuis et sa situation actuelle est inconnue. Le 5 juillet 2011, l’épouse de Dieu Cay a été informée par le Lt-Colonel Dang Hong Diep du Département des investigations de la sécurité de Ho Chi Minh Ville que Dieu Cay avait « perdu sa main (ou son bras) » en prison.
Le 4 avril 2011, M. Cu Huy Ha Vu, expert judiciaire et défenseur des droits environnementaux et politiques, a été condamné à sept ans d’emprisonnement et trois ans de résidence surveillée par le Tribunal populaire de Hanoi pour avoir « diffusé de la propagande contre la République Socialiste du Viet Nam » (article 88 du Code pénal), à la suite d’un procès inique où lui ont été déniés ses droits à un procès public par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Sa condamnation a été confirmée en appel, le 2 août 2011. Deux semaines avant son arrestation, le 5 novembre 2010, le 21 octobre, M. Ha Vu avait porté plainte contre le Premier Ministre pour avoir signé le Décret 136 de 2006 qui interdit le recours aux actions de groupe.
Le journaliste freelance Truong Minh Duc, condamné à cinq ans d’emprisonnement lors d’un procès inique, le 18 juillet 2008, dans la province de Kien Giang, pour avoir « profité des libertés et droits démocratiques pour porter atteinte aux intérêts de l’Etat » (article 258 du Code pénal), en raison de ses écrits sur la corruption à Kien Giang. L’épouse de M. Truong Minh Duc a indiqué que son mari était en très mauvaise santé et subissait des conditions de détention extrêmement dures. Il a été transféré, début avril 2010, du camp principal K2 de la prison de Xuan Loc, dans la province de Dong Nai, où il se trouvait depuis 2007, vers une section en pleine jungle connue sous le nom de K4.
L’écrivain Nguyen Xuan Nghia, condamné le 9 octobre 2009 par le Tribunal populaire de Haiphong à six ans d’emprisonnement et trois ans de « détention probatoire » (assignation à résidence) pour « propagande contre la République Socialiste du Viet Nam » (article 88 du Code pénal), pour avoir défendu et écrit en faveur des droits de l’Homme et en raison de ses appels pour des réformes démocratiques.
Mme Pham Thanh Nghien, condamnée, le 29 janvier 2010, par le Tribunal populaire de Haiphong à quatre ans d’emprisonnement suivis de trois années d’assignation à résidence pour « propagande contre la République socialiste du Vietnam » (article 88 du Code pénal), pour avoir organisé des manifestations et défendu les droits des paysans à la terre.
L’entrepreneur Internet et blogueur Tran Huynh Duy Thuc, militant pro-démocratie dont les écrits défendent les libertés, a été condamné à 16 ans de prison et cinq ans d’assignation à résidence par le Tribunal populaire de Ho Chi Minh Ville, le 20 janvier 2010, pour « activités visant à renverser l’administration du peuple » (article 79 du Code pénal) en utilisant l’Internet et les blogs pour faire circuler les idées démocratiques. En compagnie d’autres militants, il avait initialement été inculpé pour violation de l’article 88 du Code pénal, c’est-à-dire propagande anti-socialiste, et leurs « confessions » avaient été diffusées à la télévision d’Etat. Les charges ont soudainement été changées en violation de l’article 79, qui relève d’un crime bien plus grave et prévoit la peine capitale. Tran Huynh Duy Thuc a eu une pleine plus lourde que ses co-inculpés parce qu’il a refusé d’admettre avoir commis un crime et demandé la clémence. Les autres membres de son groupe sont :
L’ingénieur en technologie de l’information formé en France et blogueur Nguyen Tien Trung, condamné à sept ans de prison et trois ans d’assignation à résidence pour avoir utilisé Internet pour appeler à des réformes politiques ;
L’homme d’affaire Le Thang Long, condamné à cinq ans de prison et trois ans d’assignation à résidence (réduit à trois ans et demi en appel), également pour avoir publié des appels en faveur de la démocratie sur Internet ;
M. Tran Kim Anh, ancien lieutenant-colonel de l’Armée du peuple, condamné à cinq ans et demi de prison et trois ans d’assignation à résidence pour les mêmes chefs d’inculpation, le 28 décembre 2009, par le Tribunal populaire de la province de Thai Binh pour ses articles en faveur de la démocratie publiés sur Internet.
M. Vi Duc Hoi, militant pro-démocratie qui a écrit en détails sur la corruption et les injustices au Viet Nam, a été arrêté le 27 octobre 2010. Le 26 janvier 2011, il a été inculpé de « propagande contre le gouvernement » et condamné à huit ans d’emprisonnement suivis de cinq ans d’assignation à résidence. Le 26 avril 2011, sa peine de prison a été réduite par la Cour d’appel de la province de Lang Son à cinq ans de prison et trois ans d’assignation à résidence.
MM. Nguyen Van Lia et Tran Hoai An, membres d’une secte religieuse non-reconnue et avocats de la cause de la liberté religieuse, ont été déclarés coupables, le 12 décembre 2011, d’« abus des libertés démocratiques pour porter atteinte aux intérêts de l’Etat » (article 258 du Code pénal) par le Tribunal populaire du district de Cho Moi, dans la province méridionale d’An Giang. Ils ont été condamnés respectivement à cinq et trois ans d’emprisonnement.
Le journaliste Nguyen Van Khuong (nom de plume Hoang Khuong), reporter du journal d’Etat Tuoi Tre (Jeunesse), a été arrêté le 2 janvier 2012 pour avoir dénoncé la corruption dans la police. Il est en détention à Ho Chi Minh Ville pour « manquements professionnels ». En juillet et septembre 2011, Hoang Khuong avait écrit une série d’articles révélant les pots-de-vin reçus par la police de la route. Un policier a été arrêté à la suite de ces articles. Le 28 novembre 2011, le département d’enquête de la police de Ho Chi Minh Ville s’était plaint de ces articles et avait exigé de Tuoi Tre de retirer la carte de presse de Hoang Khuong. Dans le même temps, le Ho Chi Minh City Police Newspaper a publié plusieurs articles dénonçant les articles de Hoang Khuong et appelant à des « punitions » contre lui. Le 3 décembre 2011, la rédaction de Tuoi Tre l’a suspendu.
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